La finance décentralisée est-elle en danger ?
Alors que Stream Finance a révélé une perte de 93 millions de dollars, son XUSD s'est effondré, révélant une contagion auprès d'autres protocoles de finance décentralisée. Avec l'expertise de Pascal Tallarida, fondateur de Jarvis Network et formateur pour Alyra, nous revenons sur les différents acteurs impactés, les tenants et aboutissants de cette affaire, ainsi que les dangers que cela peut représenter pour la DeFi.
L’affaire Stream Finance et son XUSD met-elle la DeFi en danger ?
Ces derniers jours, les nerfs des chasseurs de rendements sont mis à rude épreuve dans la finance décentralisée (DeFi), d’abord avec le hack de 130 millions de dollars sur Balancer (BAL) lundi, et maintenant avec le scandale entourant Stream Finance et son XUSD.
Pour rappel, les équipes du protocole ont révélé une perte de 93 millions de dollars, attribuée à « un gestionnaire de fonds externe ». Or, ce trou dans la caisse, affecte directement les réserves du XUSD ; ce dernier pouvant être qualifié de stablecoin par abus de langage, mais qui dans les faits, consiste plutôt en un token de rendements qui proposait jusqu’à 18 % d’intérêts composés avant la crise.
Alors qu’avant les faits, le protocole revendiquait 530 millions de dollars d’actifs sous gestion, pour 163 millions de dollars de valeur totale verrouillée (TVL) de la part des utilisateurs, cette même TVL est aujourd’hui de 94 millions de dollars, selon les données de DefiLlama.
Prises isolément, ces pertes, bien qu’importantes, restent largement gérables pour l’écosystème DeFi. Le problème ici, c’est que dans le cas Stream Finance, un effet de contagion est en train d’être démontré auprès de plusieurs protocoles.
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Les boucles de lending amplifient le risque
En parallèle, Pascal Tallarida, le fondateur de Jarvis Network et formateur pour Alyra, revient sur le cas des boucles de lending, ou looping, qui consiste à emprunter un actif pour le déposer en collatéral et emprunter de nouveau. Cela permet de maximiser les rendements, mais augmente aussi le risque :
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Il y a plein d’investisseurs qui ont commencé à faire du looping. Ils ont acheté du XUSD, l’ont déposé sur des monney market, ont emprunté de l’USDC ou d’autres stablecoins et achetaient à nouveau du XUSD. L’équipe derrière le XUSD l’a fait elle-même. C’est-à-dire qu’elle empruntait des dollars à différents protocoles [Morpho, Euler, ndlr].
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C’est notamment par le biais de cette stratégie que Stream Finance revendiquait plus de 500 millions de dollars d’actifs sous gestion, un double comptage sans lequel la véritable TVL réelle était inférieure.
Cette pratique a amené des questionnements de la part de la communauté, face auxquels les équipes du protocole ont promis des preuves de réserve ces derniers jours. Parmi les signaux d’alerte, nous pouvons notamment citer ce tweet du 28 octobre :

Mise en garde d’un observateur concernant le XUSD
Sur DefiLlama, la TVL a d’ailleurs commencé à chuter dès le 27 octobre, témoignant soit d’un délit d’initiés, soit d’une perte de confiance des investisseurs, et depuis les évènements que l’on connaît désormais, nombre de positions sont désormais bloquées, comme l’explique Pascal Tallarida :
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Le problème, c’est que comme le XUSD a été utilisé comme collatéral un peu de partout, la priorité de ceux qui prêtaient des USDC ou autre actif en acceptant le XUSD comme collatéral a été de retirer leurs fonds. Toutefois, les seuls fonds que tu peux retirer sont ceux qui ne sont pas encore empruntés, donc toutes les pools avec le XUSD en collatéral sont montées à 100 % d’utilisation et les taux d’intérêt ont augmenté. […] Des positions risquent de se faire liquider, mais les gens aujourd’hui ne veulent pas liquider le XUSD, parce que ça ne sert à rien de liquider pour récupérer un actif dont on ne sait pas encore quel est le vrai backing.
Pour comprendre la suite, il nous faut d’abord revenir sur plusieurs concepts importants dans ces propos. Concernant la liquidation, rappelons effectivement que lorsqu’une position n’est plus suffisamment garantie, des liquidateurs clôturent ladite position grâce au capital déposé en collatéral, duquel le propriétaire initial se voit également infliger une pénalité. L’opération est alors rentable pour les liquidateurs, qui conservent le bonus issu de la pénalité après que le capital restant a été utilisé pour combler les pertes.
Pour les fonds bloqués sur des pools, cela est vrai dans le cas de protocoles comme Morpho ou Euler, qui utilisent des vaults dans lesquels généralement un actif précis peut être emprunté contre un autre actif donné. Cela est moins le cas sur des applications comme Aave où plusieurs collatéraux autorisés peuvent être utilisés pour emprunter plusieurs actifs autorisés.
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Après ce nécessaire exposé, nous arrivons maintenant au cœur du problème de Stream Finance, à savoir une contagion à d’autres applications de la DeFi, ce qui n’est pas sans rappeler le cas de l’UST, dans des proportions toutefois bien moindres.
Pour comprendre cela, il faut mettre en lumière le rôle des curateurs, à savoir des agents tiers qui vont définir des stratégies pour les actifs empruntés via des vaults, notamment en matière de gestion des risques et d’allocation. Ici, il apparaît que nombre de protocoles pourraient être touchés par le crash du XUSD :
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À cela s’ajoute le fait que l’on a découvert que plein de projets avaient une exposition indirecte à XUSD. Ces projets-là sont aujourd’hui impactés, tels que le projet Trevee, qui a fait le choix de travailler avec MEV Capital, et MEV Capital a décidé de prêter les fonds confiés contre du XUSD en collatéral. Certes, ils n’ont pas fait que cela, mais avec la baisse de la TVL et les retraits sur le protocole, la part des fonds prêtés contre des XUSD a grossi jusqu’à 92 %.
D’après Deepcryptodive.eth, qui supervise les risques pour le gestionnaire d’actifs on-chain KPK, un total de 756 millions de dollars serait aussi bloqué dans différents vaults sur Morpho Labs, compte tenu d’une exposition au XUSD :

Tweet de Deepcryptodive.eth
Précisons néanmoins que de son côté, Morpho a relayé les affirmations de plusieurs de ses partenaires, qui maintiennent n’avoir aucune exposition au XUSD. C’est par exemple le cas pour Steakhouse Financial, Gauntlet ou bien Felix Vanilla.
Pour sa part, Paul Frambot, le cofondateur et PDG de Morpho Labs, est intervenu sur X pour défendre sa vision des choses :
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Un vault est comparable à un fonds on-chain, et tout comme les fonds traditionnels, certains seront performants et d’autres non, mais c’est ce que nous devons accepter et atténuer si nous voulons construire un système véritablement ouvert et décentralisé. Le fait qu’un seul coffre-fort sur environ 320 sur l’application Morpho ait été exposé, même partiellement, au xUSD ne prouve en rien l’inefficacité du modèle ; bien au contraire. Grâce au modèle de marché isolé et de coffre-fort de Morpho, les plus de 319 autres coffres-forts et leurs déposants, chacun présentant un profil de risque différent, n’ont subi aucune exposition.
Un système encore imparfait
Si la situation actuelle nécessite de s’interroger sur la manière dont sont générés des rendements dans la DeFi, il convient effectivement de ne pas accuser à tort Morpho, ou tout autre protocole pouvant être impliqué malgré lui dans cette crise.
Pour autant, les prochaines semaines pourraient être riches d’enseignements sur l’étendue de cette situation, ce qui doit servir de leçon pour ne pas transposer les erreurs de la finance traditionnelle à la DeFi. En effet, Pascal Tallarida souligne que la DeFi « est devenu vraiment complexe » :
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Sur des monney market comme Morpho, les curateurs vont allouer tes fonds sur différents marchés. Ce sont eux qui décident des collatéraux, donc ils peuvent accepter du jour au lendemain un nouveau collatéral sans te demander ce que tu en penses. De plus en plus de protocoles confient leur fonds à des curateurs pour gérer leurs liquidités. C’est sans doute un très bon modèle pour le futur de la DeFi, mais un modèle qui est perfectible, notamment en matière de transparence sur la réalité des risques pris par les curateurs. C’est pour cela qu’il y a de la régulation dans la finance traditionnelle. Cela reste des êtres humains qui font des erreurs ; des erreurs parfois honnêtes, parfois par cupidité.
Toutefois, si notre interlocuteur « trouve que les curateurs ont amplifié cette crise sur le XUSD » et « espère qu’il y aura un après », il ne met pas tout le monde dans le même panier pour autant. Comme Paul Frambot, il rappelle que « la majorité des vaults [de la DeFi] ne sont pas exposés au XUSD ». Bien que bon nombre de curateurs n’aient donc pas touché à ce produit, un amalgame peut alors être fait à cause des quelques fautifs.
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Pour conclure, Pascal Tallarida insiste sur le facteur humain, qui prend de plus en plus d’importance dans la DeFi :
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Ce que cette année m’a appris, c’est que nous avons de plus en plus d’humain dans la DeFi. À l’origine, la DeFi était censée être quelque chose de déterministe où tu devais juste faire confiance au code. Certes, il y avait des erreurs humaines, mais c’était limité. Là, avec la curation, je pense que l’on est revenu à un modèle où l’être humain est très important, parce qu’il prend des décisions.
Si les marchés se retournent durablement, d’autres problèmes que celui de Stream Finance pourraient apparaître au grand jour, comme cela a été le cas en 2022.
En ajoutant à cela le hack de Balancer dont nous parlions en début d’article, la confiance des investisseurs pourrait s’éroder et déclencher des retraits de capitaux. Sur Ethereum, ce n’est toutefois pas encore le cas, si l’on rapporte la TVL en équivalent ETH, mais cela reste une statistique à surveiller.
Parfois, rappelons aussi que les problèmes mettent du temps à se révéler au public, en témoigne le hack de Moonwell, dont l’attaquant a volé 2 fois 1 million de dollars d’ETH à un moins d’un mois d’intervalle. Mardi, les données on-chain ont également révélé qu’il s’était aussi attaqué à Venus Protocol pour 664 000 dollars et à Takara Lend pour environ 450 000 dollars, ainsi que d’autres protocoles pour des sommes moins importantes.
Assurément, l’écosystème saura se relever de cette mauvaise passe, mais ce sont là autant d’histoires qui pourront servir à alimenter les discours pro-régulations de certains détracteurs, lorsque les prix se retourneront durablement.
🎬 Découvrez notre interview de Pascal Tallarida sur la débancarisation
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